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Blog des Innocents Injustement Accusés
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11 mai 2007

706 - J'ai menti

 

J'ai menti


Edition STOCK

Virginie Madeira
 

Non, Virginie Madeira l'affirme: elle n'a jamais été violée par son père, qui vient de passer six ans en prison! La jeune fille raconte dans un livre comment une histoire de gamine aurait conduit à une effarante erreur judiciaire

Virginie Madeira avait 14 ans quand elle a raconté à l'une de ses copines de classe que son père avait «abusé» d'elle, comme on disait dans les feuilletons américains qu'elle regardait goulûment à la télévision. Aujourd'hui, sept ans plus tard, elle publie un livre - coécrit avec la journaliste Brigitte Vital-Durand - pour crier publiquement: J'ai menti (Stock). Mensonge, son enfance déchirée depuis l'âge de 6 ans par les mains paternelles. Mensonges, les caresses et les viols pendant que la mère travaillait ou dormait. Mensonges, les «déclarations» extirpées de sa bouche immature par la directrice du collège, les enquêteurs et le juge d'instruction. Mensonges, les accusations confirmées devant la cour d'assises. Et lui, le père, qui vient de passer plus de six ans en prison et reste privé de ses droits civils, attend que la justice lui rende son honneur. Encore stupéfait de ce qui lui est arrivé, Antonio Madeira répète et répète encore: «Ma fille n'était qu'une gamine. Avant de croire les enfants, il faut mener des recherches approfondies.» Sa femme le coupe: «Ils ont cru bien faire.» Il s'incline devant l'évidence: «Ils ont cru bien faire

Si cette famille dit maintenant la vérité - la justice devra l'établir, mais il est difficile d'en douter quand on prend le temps d'écouter chacun de ses membres - il s'agit d'une effarante erreur judiciaire. Au-delà de leurs souffrances, cette affaire est intéressante parce qu'elle est révélatrice d'un certain nombre de failles dans un système judiciaire qui, parfois, tourne à l'engrenage. Au fond, personne n'a commis de faute, dans ce dossier. Mais tout le monde a manqué d'attention, de discernement, de prudence, de rigueur. Et, parfois, d'élémentaire humanité.

Plus grave, plus perturbant: tout le monde a eu envie de croire à la confession de Virginie. Par souci de la protéger, sûrement. Par réflexe bienveillant. Mais aussi par conformisme. Comme le souligne son père, «c'était la mode, on croyait les enfants automatiquement». Pendant des décennies, on s'est tellement trompé dans l'autre sens. Dans le dossier Madeira, il n'y avait pas de raison de soupçonner l'adolescente d'être une affabulatrice. C'était une élève de troisième plutôt sage, une fille qui ne faisait pas de bruit. Pas vraiment le profil d'une hystérique, l'expert psychologique le soulignera, jugeant son discours «totalement crédible et fiable». D'ailleurs, pourquoi aller accuser son père d'inceste quand rien ni personne ne vous y conduit?

L'enfance choyée d'une gamine complexée
Elle est là, Virginie Madeira, massive et têtue dans son studio d'étudiante, presque impassible jusqu'à ce qu'un sourire fugitif vienne l'illuminer. Elle a l'opacité lente des grandes timides et manie les mots avec précaution tant elle sait qu'ils pèsent lourd. D'une toute petite voix douce, elle raconte son enfance choyée, troublée par le malheur de son frère schizophrène. «Mes parents s'en occupaient beaucoup.» Elle évoque son père, dur à la tâche, obsédé par l'entreprise de maçonnerie qu'il a montée. Elle dit sa solitude de gamine complexée, envahie par ses inhibitions: «Je me sentais à l'écart, transparente aux yeux des autres.» A l'adolescence, elle se réfugie dans ses rêves: «J'imaginais que j'appartenais à un monde parallèle, que j'avais des pouvoirs.» Elle écrit son journal intime, fantasme sur un garçon, s'imbibe de feuilletons télé. «Dans Sunset Beach, il y avait une fille qui accusait quelqu'un de l'avoir violée, son père en fait, et tout le monde s'occupait d'elle.» En classe, Virginie a très envie d'avoir Mélanie pour amie. «Elle était toute fine, je l'admirais.» Mélanie, justement, semble en confiance puisqu'elle lui a révélé que son père trompait sa mère. Virginie se demande quoi dire pour être à la hauteur, intéresser vraiment sa camarade. Le 3 mai, elle entend à la radio annoncer qu'une fille a été «abusée» par son père. Le 4 mai, elle prend Mélanie à part: «Mon père a abusé de moi... Mais je ne veux pas que tu en parles

«Je pensais que ça resterait entre nous», dit aujourd'hui Virginie. Le lendemain, elle est convoquée chez la directrice. Là, devant son professeur principal et la conseillère d'éducation, cette catholique qui va à la messe tous les dimanches ne trouve pas la force d'avouer qu'elle a menti. Pas une seconde, affirme-t-elle, elle ne conçoit les conséquences pour son père de ce mensonge. A ses yeux de gamine effrayée, mieux vaut laisser ternir la réputation paternelle que de s'exposer à la honte d'être désignée par tous comme une menteuse.

Immédiatement conduite dans un foyer, coupée de sa famille, elle ne reverra ni son père ni sa mère, sauf dans le cabinet du juge et le jour du procès. «Je n'ai plus jamais eu l'occasion d'avouer que j'avais menti, car personne ne m'a jamais posé de question en ce sens, raconte-t-elle. Les policiers m'ont juste demandé où et comment ça se passait.» Le procès-verbal des auditions recèle un luxe de détails et de précisions. «Ils ont fait les questions et les réponses. Je n'ai fait que répliquer par oui ou par non, ou encore par un simple signe de tête, mais ils ont transcrit leurs propres phrases, comme si c'était moi qui les avais prononcées.»

Une «vérité» admise par tous
Antonio Madeira, lui, n'a pas contribué à dissuader la justice. Il n'est pas très à l'aise avec les mots. Certes, il a clamé son innocence. Mais, à la fin d'une garde à vue où il s'est vu, dit-il, «sali», menacé, humilié, son avocat lui explique que, s'il voulait échapper à la prison, il devait au moins avouer des attouchements. Le père de Virginie veut sortir de ce cauchemar. Il est obsédé par la maison clef en mains qu'il doit livrer impérativement. Et il est persuadé que tout cela va s'arrêter, que la petite va dire la vérité. «Ils m'ont mis en liberté. Mais, un mois et demi plus tard, la cour d'appel m'a fait mettre en prison.» Le 12 juin 2001, à Reims, le procès ne dura qu'une journée. Antonio Madeira regarde impuissant sa fille écouter tête baissée le réquisitoire. Il attend qu'elle réagisse. Ses avocats l'ont adjuré de maintenir ses aveux concernant les attouchements: «Sinon, vous ne serez plus crédible.» A la dernière minute, l'un d'eux l'exhorte à «limiter les dégâts»: «Dites comme votre fille, avouez tout. Vous voulez prendre vingt ans, ou quoi?» Antonio Madeira est affolé, il pense à son entreprise, à tout ce qu'il a construit. Il est sûr que, s'il valide les accusations de sa fille, celle-ci va protester. Il avoue. Le verdict tombe: douze ans. Virginie court se jeter dans les bras de son père: «Pardonne-moi!» Il murmure: «T'es une brave fille.»

Elle explique maintenant que, du début à la fin de cette histoire, ado placide, elle était totalement passive, dans un état second, «une sorte de bulle, comme dans un film». Tout le monde à l'époque lui dit que son histoire est vraie, même les experts, qui ont décelé un hymen endommagé. Elle reviendra au réel en retrouvant enfin sa maison, le 25 juin 2002. Au début de l'été, elle va voir sa mère dans sa chambre: «Tu sais, ce n'est pas vrai, tout ça.» La mère évoque les examens gynéco: «Il y a eu quelqu'un?» Virginie dit que non, elle ne comprend pas. «Il faut faire sortir papa.» Depuis, elle se bat. Un premier médecin lui confirme qu'elle est vierge. Les détériorations légères constatées résultent d'une opération urologique subie à 6 ans. Au début, personne ne la croit. Les premiers avocats qu'elle contacte la supposent manipulée par sa mère. Mal ficelée, la requête en révision déposée en 2003 est rejetée. En 2004, l'Institut de médecine légale portugais confirme: «La personne examinée n'a pas eu de pratiques sexuelles.» Une nouvelle requête est déposée en juillet 2006 par Me Jean-Marc Florand.

Question d'honneur. Pour le reste, les quelques amis, la maison de 300 mètres carrés, l'entreprise, la réputation, «on a tout perdu», soupire Antonio Madeira. Mince et sec, il secoue le front. Encore une fois, les mots lui manquent. Sa femme prend le relais: «Tu te souviens, tu citais ce proverbe portugais. La vérité, c'est comme l'huile qu'on jette dans l'eau, elle finit toujours par remonter.» Ils n'en veulent pas à leur fille: «Elle était si jeune, dit sa mère. On a juste du chagrin.» La nuit est tombée. Une fois de plus, sa mère supplie: «On t'a travaillée pour que tu ne changes pas d'avis ou tu as perdu la tête?» Virginie dit qu'elle ne sait pas. Sa mère pleure: «Elle ne sait pas, elle ne sait pas!» La fille la regarde avec tendresse. Son livre explique que la justice ne doit pas se laisser aveugler par les certitudes.

Post-scriptum: Contactés, ni la directrice ni les avocats et magistrats concernés n'ont accepté de commenter l'affaire Madeira.

Jacqueline Remy

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