Patrick Dils est né le 30 juin 1970 à Montigny-lès-Metz, une petite ville de la banlieue de Metz. C'est le portait de sa mère, longiligne et taciturne. La famille, composée de Patrick, son jeune frère Alain et de leurs parents, vit rue Vénizelos, une maison au bas du long talus qui borde les voies ferrées de l'express Paris-Metz.
Le dimanche 28 septembre 1986, vers18 heures, les Dils sont de retour à Montigny. Ils ont ramassé des pommes ce week end. C'est Jacqueline, la mère de Patrick, qui conduit une GS Citroën. Jean, le père, ouvre le portail, Alain, son frère, aide à décharger, Patrick va faire un tour au bas des voies ferrées, il veut chercher des timbres dans les poubelles car il en fait la collection.
Le soir même, on retrouvera, couchés sur les rails, à deux cents mètres de la maison, au-dessus du talus du chemin de fer, les corps de deux petits garçons âgés de 8 ans. Leurs têtes avaient été fracassées avec des pierres.
Les aveux
Ses aveux à la police remontent au 29 avril 1987: il reconnaît alors avoir tué à coups de pierres deux enfants de huit ans, Alexandre Beckrich et Cyril Beining, à Montigny-lès-Metz, en Moselle, le soir du 28 septembre 1986.
Patrick Dils a dit lors de son procès avoir été "nargué, insulté, humilié par les inspecteurs et par les autres gardés à vue" lors de la première nuit passée à la police, après un premier interrogatoire où il n'avouait pas.
L'inspecteur Bernard Varlet lui aurait lancé : "allez, dis la vérité. Imaginons que tu vois les vélos, tu montes sur le talus, tu vois les deux petits garçons, on peut imaginer qu'ils se moquent de toi".
"Alors tu prends une pierre pour leur faire peur et malheureusement tu en blesses un, il tombe à terre. Paniqué, tu prends une autre pierre et tu frappes le deuxième garçon. Complètement paniqué, tu cherches une grosse pierre pour terminer le travail (...) Mais ce n'est pas grave, c'est un accident, on peut comprendre", lui aurait dit l'inspecteur.
Les détails
Patrick Dils, alors âgé de seize ans, aurait, selon son récit, accepté de valider ce que lui disait le policier. "Pour moi, c'était un scénario, rien d'autre, j'aurais pu dire que ce n'était pas moi mais j'avais 16 ans, j'étais terrorisé", a-t-il expliqué.
L'accusé a expliqué la présence de détails dans le procès-verbal de son audition par le fait qu'ils figuraient dans les questions et a ajouté que le policier avait affiché un plan de la scène du crime dans la pièce.
La présidente de la cour a alors fait remarquer que l'accusé avait ensuite avoué le crime à sa mère, dans les locaux de la police. "Je pensais me retrouver seul face à mes parents mais l'inspecteur Varlet m'a dit: 'dis à ta mère que tu as tué les enfants'. J'étais prisonnier, enfermé dans cette situation", a répondu Patrick Dils.
Prié de dire pourquoi il avait avoué ensuite devant un second policier, il a répondu : "je voulais faire plaisir".
Enfin, questionné sur la réitération des ses aveux le 30 avril devant le juge d'instruction Mireille Maubert, il a précisé que son avocat n'assistait pas à cet interrogatoire, où l'inspecteur Varlet était présent.
La cour a alors fait remarquer que Dils n'avait pas nié lors de la reconstitution sur les lieux du crime, quelques jours plus tard, et pas davantage lors d'un nouvel interrogatoire devant le juge d'instruction le 15 mai, ni devant le psychiatre puis le psychologue, pas plus dans des lettres à ses parents.
Le président Yvette Vilvert a alors marqué son scepticisme : "Vous aviez tellement d'occasions de dire que vous étiez innocent !"
"Ce que j'ai vécu, personne ne peut le comprendre, personne ne peut l'imaginer. Je ne suis pas là pour faire du théâtre ou pour causer de la douleur, il y en a eu assez comme ça", a répondu l'accusé.Avant Patrick Dils, deux personnes avaient déjà avoué le crime à la police en décembre 1986 et février 1987, sans être inquiétées.
27 janvier 1989 : verdict du premier procès
Dils est reconnu coupable et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Fait rarissime, la cour lui refuse l'excuse de minorité, souvent accordée aux jeunes criminels. Dils n'avait pourtant que 16 ans au moment des faits.Encore exténué par trois heures de plaidoirie, Bertrand Becker ne comprend pas. Il pensait avoir convaincu les jurés de la faiblesse des charges pesant sur Dils.
29 juin 2001 : second procès
La découverte d'un élément nouveau, inconnu en 1986 : la présence, sur les lieux du double crime, de Francis Heaulme. Ce serial killer, mythomane, authentique «routard du crime», a été condamné plusieurs fois pour meurtre depuis son arrestation en 1992. Suffisant pour jeter le doute sur la culpabilité de Patrick Dils. «La justice doit être capable de reconnaître ses erreurs», déclarera non sans courage, en mars 2001, l'avocate générale de la Cour de cassation, Dominique Commaret.
Patrick Dils a été condamné le 29 juin 2001 à 25 ans de réclusion criminelle pour les meurtres de deux enfants en 1986 à Montigny-lès-Metz. Malgré la requête de l'avocat général qui réclamait l'acquittement de Partick Dils après 14 ans de prison, les jurés ont voté pour 25 ans de prison ferme. Le verdict est tombé comme un boulé à la grande stupéfaction des médias et de l'opinion public le 29 juin.
Il a décidé de faire appel de ce jugement. Il sera donc jugé une troisième fois, une première dans les annales des affaires judiciaires françaises.
Avril 2002 : troisième procès
A la suite des dépositions, il est désormais certain que le tueur en série Francis Heaulme se trouvait à Montigny-lès-Metz (Moselle), le "visage en sang", non loin de l'endroit du meurtre des deux enfants, le soir du 28 septembre 1986 : les deux pêcheurs, qui ne s'étaient manifestés qu'après le procès de Reims en juin 2001, ont raconté comment ils avaient découvert Francis Heaulme, le "simplet du village", "affolé, tremblant, le visage en sang", le soir du 28 septembre 1986, non loin de l'endroit où Alexandre Beckrich et Cyril Beining allaient être retrouvés, le crâne fracassé.
Alors qu'ils le reconduisaient chez sa grand-mère, Francis Heaulme leur aurait expliqué "être tombé dans les cailloux, dans la descente du chemin de fer", ce qui leur a paru "bizarre", car il "n'avait pas de blessures aux mains".
Entendu comme témoin, bien que la présomption de sa culpabilité se soit renforcée depuis sa première audition à Reims, Francis Heaulme a confirmé avoir rencontré les pêcheurs, ainsi qu'une "dizaine de gamins qui lançaient des cailloux", alors qu'il passait à vélo.
Toutefois, lors de son audition comme témoin, Francis Heaulme a certes reconnu avoir vu les enfants qui lui jetaient des cailloux, mais il a réaffirmé qu'il n'"avait pas tué" Alexandre Beckrich et Cyril Beining. Francis Heaulme, dont l'âge mental a été évalué à huit ans, a déclaré pour se disculper que ce n'était "pas son style" de prendre des pierres pour tuer, ayant plutôt "l'habitude" d'utiliser un opinel ou "d'étrangler"...
Une reconstitution faussée
Un ancien policier appelé comme témoin au procès de Patrick Dils a affirmé devant la cour d'assises des mineurs du Rhône que la reconstitution du double meurtre de Montigny-lès-Metz (Moselle) avait été faussée.
Omer Stragier a participé le 7 mai 1987 à la reconstitution des meurtres d'Alexandre Beckrich et de Cyril Beining, tous deux âgés de huit ans, conduite par l'ex-inspecteur divisionnaire Bernard Varlet et la juge Mireille Maubert.
A la barre, au cinquième jour du procès, il raconte comment Patrick Dils, alors âgé de 16 ans, était "fermement tenu par le bras par l'inspecteur Varlet qui voulait absolument le rendre docile". Il dit également avoir été frappé par les remarques du brigadier Roland Hupp, qui participait également à la reconstitution. Ce brigadier avait participé aux premières constatations sur les lieux du crime, au soir du 28 septembre 1986. Selon Omer Stragier, ce brigadier aurait dit: "Mais c'est pas là que ça s'est passé, c'était là-bas" tandis que Patrick Dils se dirigeait vers le lieu présumé du crime. "C'était pas comme ça, ils lui font faire n'importe quoi, ce n'était pas ça du tout", aurait poursuivi Roland Hupp. "On a ensuite demandé à Dils de 'refaire le geste'. Et comme un élève ne sachant pas sa leçon, il n'a pas voulu faire le geste", poursuit Omer Stragier. "Puis il a accepté de s'agenouiller et, regardant désespérément autour de lui, il a pris une pierre posée à côté de lui et asséné trois coups au mannequin."
"Le brigadier a alors repris : 'C'est n'importe quoi ça, maintenant ça suffit'", ajoute Omer Stragier.
"Une question de conscience"
Le policier dit à la barre avoir "d'autres faits troublants" à rapporter. "Il y avait quatre dames à proximité de la reconstitution, ce n'était pas des mégères. L'une d'elle a dit en apercevant Patrick Dils : 'Alors, commandant, ce n'est pas le vieux monsieur qu'on a vu à vélo qui est accusé?'". A ce stade de la reconstitution, Omer Stragier dit avoir été "très étonné".
Ces femmes ont dit avoir confié ce détail à la police mais ont ajouté que leur déclaration n'avait pas été enregistrée. Le vieux monsieur en vélo sera identifié par la suite comme pouvant être le tueur en série Francis Heaume, effectivement présent et à vélo dans la ville le jour du drame.
Le policier en retraite mime toutes ces scènes devant la cour d'assises des mineurs du Rhône qui rejuge Patrick Dils : "Je me le rappelle comme si c'était hier. Pour moi, c'est une question de conscience de venir témoigner. C'est sa dernière chance. Il ne s'est jamais défendu. Mais comment aurait-il pu le faire ?"
Plaidoiries
Soulignant que "tout lui paraissait douteux" dans ce dossier, en dépit des "aveux immondes, dévastateurs" et pleins d'incohérences, sur lesquels Dils était revenu, l'avocat général n'avait réclamé mardi ni peine, ni condamnation, mais s'était gardé de prononcer le mot d'"acquittement".
"Peu importe les conséquences, si vous avez l'intime conviction que Dils est innocent, vous devez prononcer son acquittement", a plaidé Me Jean-Marc Florand, avant que la cour ne se retire pour délibérer. "Ne vous demandez pas les conséquences pour la justice et l'institution, ne pensez pas à la peine des familles et ne tombez pas dans une peine de complaisance", a-t-il dit.
"Je vous demande de lui rendre son innocence, son honneur, sa liberté et son sourire", a déclaré Me Florand, à l'issue d'une plaidoirie dans laquelle il a développé "les preuves de l'innocence de Dils et de la culpabilité de Heaulme".
"On a construit un coupable idéal et docile à défaut d'un vrai coupable, on a fabriqué des aveux", a souligné le défenseur, décrivant l'accusé comme un "robot mécanique, écrasé par les événements exceptionnels qu'il était en train de vivre".
"Oui, Dils est coupable d'avoir avoué un crime qu'il n'a pas commis, qu'il n'a pu commettre, mais il n'avait que 16 ans", a souligné Me Florand, ajoutant que si il "s'est rendu coupable de ne pas avoir hurlé son innocence", c'est parce qu'il n'est "pas un rebelle".
"Au lieu d'un tueur fou, on va pourchasser un adolescent timide et anormalement normal", a-t-il dit, dénonçant les "incohérences, les invraisemblances, les oublis" de l'enquête.
Prenant la parole en dernier, Patrick Dils a déclaré à l'adresse des familles des victimes : "Je suis innocent. Je n'ai pas tué vos enfants. Mon souhait le plus cher c'est à mon tour d'avoir des enfants. Encore aujourd'hui j'ai de la haine pour personne".
Le verdict
Patrick Dils a été définitivement acquitté mercredi 24 avril 2002 par la cour d'assises des mineurs du Rhône.
A une semaine près, Patrick Dils, âgé de 31 ans, en aura passé quinze en détention pour un crime qu'il avait reconnu avant de se déclarer innocent.
A 22H10, il a franchi en homme libre, encadré de ses avocats, les portes de la prison Saint-Paul de Lyon où l'attendait une horde de journalistes, fermement maintenus à bonne distance par un imposant cordon de CRS.
"Je suis extrêmement content de la décision qui vient d'être rendue mais il va falloir du temps pour analyser la situation. Quoi qu'on puisse faire, personne ne pourra me rendre ces 15 ans", a déclaré Patrick Dils. "Je veux retrouver ma famille, mes amis et puis souffler, parce que je suis fatigué, je suis usé, j'ai envie de me reposer", a-t-il dit lors d'une très brève prise de parole avant de monter dans un véhicule d'une chaîne de télévision privée.